(Epidiah
Ravachol)
"Dans
l’ensemble, les créateurs de jeux commencent juste à s’éveiller au fait que la
mécanique la plus efficace est une question. Quelque chose est en train de
changer et dans les prochaines années vous allez voir plein de nouveaux jeux
sexy entièrement construits autour des questions que peuvent poser les joueurs
et de la manière dont on peut y répondre. Quand cela arrivera, nous nous
rendrons tous compte de ce qu’il faut pour bien construire une question."
(Epidiah
Ravachol)
Moi, ça me plait ce que
dit le monsieur et je ne demande qu’à les voir débarquer tous ces jeux qui nous
ferons poser plein de questions. Mais attention ! Pas n’importe quoi comme
question. Le monsieur le dit en fin de citation : bien construire sa question
demande un minimum de réflexion. J’aborde un peu le sujet dans une aide de jeu
pour Sous la Lumière des Étoiles et dans ce billet je vais parler de deux jeux
qui incluent dans leur mécanique un échange de questions et de réponses :
Apocalypse World et Swords Without Master.
Apocalypse World
Les règles d’Apocalypse
World ont un positionnement simple et direct quand on en vient aux questions. Elles
disent très clairement : “posez des questions comme un malade et rebondissez sur
les réponses”. C’est à mon avis un des axes majeur du jeu et même une nécessité
lors de la première session, qui posera les bases de la campagne.
Quand on commence une
campagne à Apocalypse World, personne ne sait quoi que ce soit de l’univers de
jeu, pas même le meneur de jeu. On sait juste qu’il y a eu un apocalypse il y a
un peu plus de 50 ans et que depuis existe le Maelström Psychique, rien de
plus. On ne sait rien ni de l’apocalypse ni du Maelström. Ainsi, le rôle du meneur
va être de prendre en considération les types de personnages choisis par les
joueurs et de se servir des informations données lors de leur création pour interroger
les joueurs sur l’environnement de leurs personnages et lier les informations
obtenu pour en faire un tout cohérent, avec l’aide des joueurs.
Là où le jeu est quand
même bien fait c’est qu’il donne des outils aux joueurs et au meneur pour poser
des questions pendant la création de personnage. Le plus évident d’entre eux
est la mécanique de construction des Hx, les liens qui existent entre les
personnages. Par exemple l’Arrangeur peut désigner l’un des autres personnages
et lui dire que ce salop « l’a planté là et l’a laissé payer la
note » ; le Céphale peut choisir un personnage et lui annoncer « tu
as dormi en ma présence » (et tu le sais /ne le sais pas.
rayer la mention inutile). Cette mécanique ne fait que donner aux joueurs des
questions directement prêtes à l’emploi : « qui t’a planter là et t’a
laisser payer la note ? », « Qui a dormi en ta présence ? »
Vous vous doutez que de
telles questions ne manqueront pas de créer une dynamique pêchue autour de la
table. Mais il y a mieux. Allez-vous vous contenter d’une simple réponse du
style « C’est Ketchup qui m’a planté et m’a laissé payer les pots cassé
! » Si c’est le cas, c’est que vous n’êtes pas très curieux. Ne me dites
pas que ça ne vous intéresse pas de savoir où l’Arrangeur a été planté, que
vous n’avez pas envie de savoir ce que sont ces pots cassés et qu’elle en a été
le prix. Il est de votre responsabilité en tant que meneur (et même en tant que
joueur, mais à moindre mesure) de chercher à savoir en quelles circonstances ces
évènements ont eu lieu. Parce que c’est ce qui va donner de la texture à votre
partie et construire le décor des aventures que vivrons les personnages. Chaque
réponse amènera potentiellement une nouvelle question et les personnages
gagneront en profondeur, leur environnement s’éclaircira et l’univers de
campagne prendra de l’ampleur. Le meneur va se retrouver avec plein d’éléments qu’il
pourra utiliser en jeu et renvoyer à la gueule des personnages pour que tous,
meneur et joueurs, découvrent ce qui se cache derrière. Jouer pour voir ce qui
arrive, tel est le moto d’Apocalypse World.
Je vois deux gros
avantages dans cette façon de jouer. D’une part, tous les joueurs autour de la
table, meneur y compris, en savent autant sur l’univers de jeu les uns que les
autres et je vous garanti que permettre à tous de participer à la création du
terrain de jeu est un boost majeur à l’implication. C’est aussi une source de
plaisir inavoué pour le meneur de mettre le nez d’un joueur au dessus de la
merde qu’il a créé pour son personnage, et le joueur prendra tout autant de
plaisir à voir sa création se retourner contre lui.
D’autre part, c’est sur
cette mécanique que repose le côté pick-up and play du jeu. Plus besoin de
passer des heures à préparer ses parties à l’avance (ce qui est un atout quand la
vrai vie nous bouffe tout notre temps). J’ai fait des sessions de jeu entières
en me basant sur une question posée en début de soirée : « tu envois tes
signaux lumineux et les signaux que tu as en retour ne sont pas ceux que tu
espérais. Qu’est-ce qui t’inquiète tant dans ce qu’ils disent ? ». Ou
mieux, cette question que j’ai volé à Jérôme “Brand” Larré : « Quelle est
la dernière chose que tu voudrais faire ? » suivi de « Pourquoi es-tu
en train de la faire ? »
Swords Without Master
Alors voilà un petit jeu
de Sword and Sorcery qui mériterait d’être plus connu et que tout rôliste
gagnerait à connaître. Comme c’est un jeu d’Epidiah Ravachol, le monsieur que
je cite en début d’article, vous vous doutez bien qu’il y a intégré une
mécanique de questions.
Comme dans tout jeu de
rôle, une partie est découpée en plusieurs scènes plus ou moins longues. Dans
Swords Without Master, il y a trois types différents de scènes, appelés phases.
La phase périlleuse, met
les personnages dos au mur et menace grandement leur intégrité physique. C’est
une phase d’action où la vie des personnages est en jeu. Ici, pas de place aux
questions sauf à savoir comment ils vont venir à bout de l’ennemi, mais c’est
comme ça dans tous les jeux de rôles.
La deuxième phase donne
la part belle aux questions. C’est la phase de découverte, dans laquelle le
joueur qui a la main* décrit quelque chose que son personnage découvre (ou
qu’il connaissait déjà). Il pose ensuite une question au meneur au sujet de sa
découverte. Cette interaction entre meneur et joueurs donne à tout le monde
l’opportunité de mettre son grain de sel dans l’univers, de le rendre
intéressant à ses yeux et d’y intégrer pleinement son personnage. Trop souvent
j’ai vu des parties où les personnages se retrouvent à suivre une intrigue ou
une mission dont il ne devrait strictement rien avoir à faire. Là, les joueurs
peuvent dire au meneur « voilà ce que je veux voir en jeu ; voilà ce qui
motive mon personnage ». Puis ils doivent lui poser une question. Une
question ouverte qui plus est, c’est écrit dans les règles ; pas une
question qui peut être répondu par oui ou par non. Redonner ainsi la main au
meneur laisse au joueur une part d’incertitude sur ce qu’il a créé et permet au
meneur de le surprendre. Cet échange entre découvertes, questions et réponses
dure le temps qu’il faut au meneur d’être satisfait de ce qui a été apporté à
la fiction, quand les contributions de chacun lui permettent de voir clairement
la direction que doit prendre l’histoire.
La dernière phase s’appelle
la phase de roublards. Dans Swords Without Master, tous les personnages sont
des roublards à la Conan : des types exceptionnels, très compétents et qui
n’ont de comptes à rendre à personne. Cette phase a pour but de lâcher la bride
aux joueurs pour qu’ils puissent montrer à tout le monde à quel point leurs
personnages sont cool et vraiment trop fort. Pour ce faire, le meneur fait une demande
particulière à un joueur. Cette demande est toujours construite selon le même
schéma : “Montre nous comment ton roublard …”. Là, le joueur peut à carte
blanche pour répondre à la demande comme il l’entend. C’est le moment pour lui de
faire briller son personnage. Il peut raconter ce qu’il veut et laisser libre
cours à son imagination. Il reste cependant contraint par la cohérence de la
fiction et son jet de dé (lisez le jeu pour savoir à quel point le hasard vient
renforcer la fiction). Une fois qu’il a répondu à la demande, il en fait une à
un autre joueur. Maintenant, si on regarde de plus près ces demandes, que sont-elles
si non une façon spécifique de construire une question ? Qui plus est, une
question qui oriente les personnages dans une direction qui nous intéresse.
Epidiah Ravachol nous mâche le travail et nous montre exactement le genre de
question qu’il faut poser pour servir le propos de la phase : faire briller les
personnages en offrant à tous l’opportunité d’explorer le monde et de raconter
une histoire qui nous plaît.
Epidiah semble penser
que ce genre de mécanique va devenir de plus en plus présent dans le jeu de
rôle et j’espère qu’il ne se trompe pas. Personnellement, ce que j’attends d’un
jeu de rôle, c’est qu’il nous donne tous les outils dont nous, joueurs (et
meneur), auront besoin pour créer des histoires qui nous plaise, avec une
mécanique qui sert le thème et l’ambiance promis par la quatrième de couverture
et un minimum de préparation entre deux parties. Les questions, si elles sont
bien utilisées, me semble être un excellent outil pour aller dans ce sens.
J’aurais pu parler des
fronts d’Apocalypse World qui fourmillent de question ne demandant qu’à être
répondu en jeu ; des en jeux de scène de Prime Time Adventure, qui demande
si oui ou non quelque chose va se passer dans la scène ; des enjeux de
conflits à Dogs in the Vinyard et la grande question sur laquelle repose tout
ce jeu : « jusqu’où les personnages/joueurs seront-ils prêt à aller
pour faire valoir leur décisions ? ». Mais on ne serait pas prêt de
finir.
Nota bene : si tout au
long de l’article je fais une distinction entre meneur de jeu et joueurs, c’est
par souci de clarté et simplicité. Je considère que le meneur est un joueur
comme les autres autour de la table. Un joueur avec une responsabilité
différente, soit, mais un joueur quand même.
*Un jeu de rôle est une
discussion cadrée et centrée sur l’histoire que les joueurs racontent. Dans une
discussion, si tout le monde parle en même temps, on ne s’entend plus et on ne
comprend plus rien. Sword Without Master a une mécanique qui permet de partager
la parole et ce qui est dit par celui qui a la main devient réalité dans la
fiction.