mercredi 18 juin 2014

C'est un jeu de questions.

"As a whole, game designers are only just starting to wake up to the fact that the single most effective mechanic is a question. That's going to change soon and over the next few years you're going to see a lot of hot new games built entirely around the questions players can ask and how they can be answered. When this happens, we're all going to appreciate just what it takes to craft a well-asked question."
(Epidiah Ravachol)

"Dans l’ensemble, les créateurs de jeux commencent juste à s’éveiller au fait que la mécanique la plus efficace est une question. Quelque chose est en train de changer et dans les prochaines années vous allez voir plein de nouveaux jeux sexy entièrement construits autour des questions que peuvent poser les joueurs et de la manière dont on peut y répondre. Quand cela arrivera, nous nous rendrons tous compte de ce qu’il faut pour bien construire une question."
(Epidiah Ravachol)

Moi, ça me plait ce que dit le monsieur et je ne demande qu’à les voir débarquer tous ces jeux qui nous ferons poser plein de questions. Mais attention ! Pas n’importe quoi comme question. Le monsieur le dit en fin de citation : bien construire sa question demande un minimum de réflexion. J’aborde un peu le sujet dans une aide de jeu pour Sous la Lumière des Étoiles et dans ce billet je vais parler de deux jeux qui incluent dans leur mécanique un échange de questions et de réponses : Apocalypse World et Swords Without Master.

Apocalypse World

Les règles d’Apocalypse World ont un positionnement simple et direct quand on en vient aux questions. Elles disent très clairement : “posez des questions comme un malade et rebondissez sur les réponses”. C’est à mon avis un des axes majeur du jeu et même une nécessité lors de la première session, qui posera les bases de la campagne.
Quand on commence une campagne à Apocalypse World, personne ne sait quoi que ce soit de l’univers de jeu, pas même le meneur de jeu. On sait juste qu’il y a eu un apocalypse il y a un peu plus de 50 ans et que depuis existe le Maelström Psychique, rien de plus. On ne sait rien ni de l’apocalypse ni du Maelström. Ainsi, le rôle du meneur va être de prendre en considération les types de personnages choisis par les joueurs et de se servir des informations données lors de leur création pour interroger les joueurs sur l’environnement de leurs personnages et lier les informations obtenu pour en faire un tout cohérent, avec l’aide des joueurs.
Là où le jeu est quand même bien fait c’est qu’il donne des outils aux joueurs et au meneur pour poser des questions pendant la création de personnage. Le plus évident d’entre eux est la mécanique de construction des Hx, les liens qui existent entre les personnages. Par exemple l’Arrangeur peut désigner l’un des autres personnages et lui dire que ce salop « l’a planté là et l’a laissé payer la note » ; le Céphale peut choisir un personnage et lui annoncer « tu as dormi en ma présence »   (et tu le sais /ne le sais pas. rayer la mention inutile). Cette mécanique ne fait que donner aux joueurs des questions directement prêtes à l’emploi : « qui t’a planter là et t’a laisser payer la note ? », « Qui a dormi en ta présence ? »
Vous vous doutez que de telles questions ne manqueront pas de créer une dynamique pêchue autour de la table. Mais il y a mieux. Allez-vous vous contenter d’une simple réponse du style « C’est Ketchup qui m’a planté et m’a laissé payer les pots cassé ! » Si c’est le cas, c’est que vous n’êtes pas très curieux. Ne me dites pas que ça ne vous intéresse pas de savoir où l’Arrangeur a été planté, que vous n’avez pas envie de savoir ce que sont ces pots cassés et qu’elle en a été le prix. Il est de votre responsabilité en tant que meneur (et même en tant que joueur, mais à moindre mesure) de chercher à savoir en quelles circonstances ces évènements ont eu lieu. Parce que c’est ce qui va donner de la texture à votre partie et construire le décor des aventures que vivrons les personnages. Chaque réponse amènera potentiellement une nouvelle question et les personnages gagneront en profondeur, leur environnement s’éclaircira et l’univers de campagne prendra de l’ampleur. Le meneur va se retrouver avec plein d’éléments qu’il pourra utiliser en jeu et renvoyer à la gueule des personnages pour que tous, meneur et joueurs, découvrent ce qui se cache derrière. Jouer pour voir ce qui arrive, tel est le moto d’Apocalypse World.
Je vois deux gros avantages dans cette façon de jouer. D’une part, tous les joueurs autour de la table, meneur y compris, en savent autant sur l’univers de jeu les uns que les autres et je vous garanti que permettre à tous de participer à la création du terrain de jeu est un boost majeur à l’implication. C’est aussi une source de plaisir inavoué pour le meneur de mettre le nez d’un joueur au dessus de la merde qu’il a créé pour son personnage, et le joueur prendra tout autant de plaisir à voir sa création se retourner contre lui.
D’autre part, c’est sur cette mécanique que repose le côté pick-up and play du jeu. Plus besoin de passer des heures à préparer ses parties à l’avance (ce qui est un atout quand la vrai vie nous bouffe tout notre temps). J’ai fait des sessions de jeu entières en me basant sur une question posée en début de soirée : « tu envois tes signaux lumineux et les signaux que tu as en retour ne sont pas ceux que tu espérais. Qu’est-ce qui t’inquiète tant dans ce qu’ils disent ? ». Ou mieux, cette question que j’ai volé à Jérôme “Brand” Larré : « Quelle est la dernière chose que tu voudrais faire ? » suivi de « Pourquoi es-tu en train de la faire ? »

Swords Without Master

Alors voilà un petit jeu de Sword and Sorcery qui mériterait d’être plus connu et que tout rôliste gagnerait à connaître. Comme c’est un jeu d’Epidiah Ravachol, le monsieur que je cite en début d’article, vous vous doutez bien qu’il y a intégré une mécanique de questions.
Comme dans tout jeu de rôle, une partie est découpée en plusieurs scènes plus ou moins longues. Dans Swords Without Master, il y a trois types différents de scènes, appelés phases.
La phase périlleuse, met les personnages dos au mur et menace grandement leur intégrité physique. C’est une phase d’action où la vie des personnages est en jeu. Ici, pas de place aux questions sauf à savoir comment ils vont venir à bout de l’ennemi, mais c’est comme ça dans tous les jeux de rôles.
La deuxième phase donne la part belle aux questions. C’est la phase de découverte, dans laquelle le joueur qui a la main* décrit quelque chose que son personnage découvre (ou qu’il connaissait déjà). Il pose ensuite une question au meneur au sujet de sa découverte. Cette interaction entre meneur et joueurs donne à tout le monde l’opportunité de mettre son grain de sel dans l’univers, de le rendre intéressant à ses yeux et d’y intégrer pleinement son personnage. Trop souvent j’ai vu des parties où les personnages se retrouvent à suivre une intrigue ou une mission dont il ne devrait strictement rien avoir à faire. Là, les joueurs peuvent dire au meneur « voilà ce que je veux voir en jeu ; voilà ce qui motive mon personnage ». Puis ils doivent lui poser une question. Une question ouverte qui plus est, c’est écrit dans les règles ; pas une question qui peut être répondu par oui ou par non. Redonner ainsi la main au meneur laisse au joueur une part d’incertitude sur ce qu’il a créé et permet au meneur de le surprendre. Cet échange entre découvertes, questions et réponses dure le temps qu’il faut au meneur d’être satisfait de ce qui a été apporté à la fiction, quand les contributions de chacun lui permettent de voir clairement la direction que doit prendre l’histoire.
La dernière phase s’appelle la phase de roublards. Dans Swords Without Master, tous les personnages sont des roublards à la Conan : des types exceptionnels, très compétents et qui n’ont de comptes à rendre à personne. Cette phase a pour but de lâcher la bride aux joueurs pour qu’ils puissent montrer à tout le monde à quel point leurs personnages sont cool et vraiment trop fort. Pour ce faire, le meneur fait une demande particulière à un joueur. Cette demande est toujours construite selon le même schéma : “Montre nous comment ton roublard …”. Là, le joueur peut à carte blanche pour répondre à la demande comme il l’entend. C’est le moment pour lui de faire briller son personnage. Il peut raconter ce qu’il veut et laisser libre cours à son imagination. Il reste cependant contraint par la cohérence de la fiction et son jet de dé (lisez le jeu pour savoir à quel point le hasard vient renforcer la fiction). Une fois qu’il a répondu à la demande, il en fait une à un autre joueur. Maintenant, si on regarde de plus près ces demandes, que sont-elles si non une façon spécifique de construire une question ? Qui plus est, une question qui oriente les personnages dans une direction qui nous intéresse. Epidiah Ravachol nous mâche le travail et nous montre exactement le genre de question qu’il faut poser pour servir le propos de la phase : faire briller les personnages en offrant à tous l’opportunité d’explorer le monde et de raconter une histoire qui nous plaît. 


Epidiah semble penser que ce genre de mécanique va devenir de plus en plus présent dans le jeu de rôle et j’espère qu’il ne se trompe pas. Personnellement, ce que j’attends d’un jeu de rôle, c’est qu’il nous donne tous les outils dont nous, joueurs (et meneur), auront besoin pour créer des histoires qui nous plaise, avec une mécanique qui sert le thème et l’ambiance promis par la quatrième de couverture et un minimum de préparation entre deux parties. Les questions, si elles sont bien utilisées, me semble être un excellent outil pour aller dans ce sens.
J’aurais pu parler des fronts d’Apocalypse World qui fourmillent de question ne demandant qu’à être répondu en jeu ; des en jeux de scène de Prime Time Adventure, qui demande si oui ou non quelque chose va se passer dans la scène ; des enjeux de conflits à Dogs in the Vinyard et la grande question sur laquelle repose tout ce jeu : « jusqu’où les personnages/joueurs seront-ils prêt à aller pour faire valoir leur décisions ? ». Mais on ne serait pas prêt de finir. 


Nota bene : si tout au long de l’article je fais une distinction entre meneur de jeu et joueurs, c’est par souci de clarté et simplicité. Je considère que le meneur est un joueur comme les autres autour de la table. Un joueur avec une responsabilité différente, soit, mais un joueur quand même.

*Un jeu de rôle est une discussion cadrée et centrée sur l’histoire que les joueurs racontent. Dans une discussion, si tout le monde parle en même temps, on ne s’entend plus et on ne comprend plus rien. Sword Without Master a une mécanique qui permet de partager la parole et ce qui est dit par celui qui a la main devient réalité dans la fiction.